JEREMIAH ▬ stuck in the middle with you

J’étais complètement imprégné de punk-rock. Je vivais dans cet idéal marginal : la négation complète du commerce, la rébellion intégrale. Impossible de devenir célèbre par le punk-rock. Impossible de dépasser les limites de Seattle. Je n’avais envie de rien, je me sentais très bien, très bien tel que j’étais. — Kurt Cobain

COME AS YOU ARE : introspection d'un garçon condamné à rester seul.
Blog de Jeremiah — article posté le 29/12/2012.

Tu ne dis jamais rien sur ta vie, tu en es incapable. Parfois, quand le hasard fait que tu es forcé à raconter quelque chose sur ta vie si trépidante, tu fuis la difficulté. Tu ne mens pas, tu ne t'inventes pas une vie. Tu relates des faits, tu es très doué pour ça. Seulement, il n'y aura jamais les sentiments. Tu ne sais pas pourquoi, mais tu es incapable de mettre le moindre mot sur ce que tu ressens. Les gens te répètent sans cesse que c'est handicapant. Ton frère lui-même s'inquiète pour toi. Il a remarqué ce changement qui s'est opéré au fil des années. Avant, tu étais un petit garçon heureux de vivre et même si aujourd'hui tu n'es pas dépressif, tu as changé. Petit à petit, tu t'es mis à préférer la solitude tout en la détestant. Tu ne supportes pas les autres avec toutes leurs manières empruntées à des modes, leurs manques d'avis sur des questions importantes et leurs vies sociales stupides. Ce n'est pas de la jalousie comme certains arrivent à le sous-entendre. Tu sais que ta vie n'est pas celle que tu voudrais, mais tu sais qu'elle n'est pas si mal. Tu n'as jamais eu envie de te mélanger à eux. Ce genre de personne ne t'a jamais intéressé.

Pour comprendre, il faut faire un point sur ta vie. Sans soucis, c'est sûrement ce qui convient le mieux pour la définir. Tu as toujours été entouré de gens qui t'aiment. Tes parents sont des personnes adorables et tu le sais très bien même si vous êtes parfois en conflits. Mais ce n'est pas le plus important. Tu as eu la chance d'avoir un frère jumeau. Tu peux dire sans le moindre risque que c'est la personne à qui tu tiens le plus dans ce monde. Tu l'aimes énormément, tu serais prêt à te sacrifier pour lui sans hésiter. Et il en ferait de même. Il l'a souvent protégé quand la situation a commencé à se dégrader. Tu ne souviens plus vraiment les raisons qui t'ont poussés à rester sur le côté. Pour toi, tu as toujours été comme ça, seul. Tu n'aimais pas jouer au foot avec les autres garçons. Tu n'aimais pas non plus te battre. À l'époque, enfant, tu étais incapable de te défendre. Tout te différencier d'eux à première vue, alors que lui leur ressemblait. Mais au lieu de prendre leur parti, de se moquer de toi, il prenait ta défense. Il l'a toujours fait et le soir quand vous étiez couché dans vos lits superposés, il essayait de te raisonner. Tu as rapidement arrêté de compter le moindre de fois où il t'a demandé de changer, de te sociabiliser. Pour lui faire plaisir, tu as essayé. Toutes tes tentatives se sont soldés par un échec.

L'adolescence est une période capitale pour comprendre ce que tu es devenue. Après une enfance heureuse, tu t'es mis à te recroqueviller sur toi-même. Tu n'as jamais été dépressif, tu préférais juste rester seul. À tes yeux, c'était plus intelligent que se fatiguer à supporter des gens que tu n'aimais pas. Tu t'es fait traiter d'asocial, et encore une fois c'est ton frère qui prenait ta défense quand les insultes partaient trop loin. Si les enfants sont méchants entre eux, les ados peuvent être pires. Tu en as eu la preuve. Tu n'es pas rancunier, tu sais très bien pourquoi ils s'en sont pris à toi. Tu étais une cible facile. Toujours seul, à écrire dans un cahier dès que tu avais quelques minutes de libre, ou à jouer avec une console des écouteurs enfoncés dans tes oreilles. Des fois, tu n'étais pas seul. Il y a plusieurs personnes dans ta vie que tu as réellement apprécié. Des gens que tu rencontrais parfois, au détour d'une rue, et avec qui tu parvenais à sympathiser. C'est la preuve que tu es capable de beaucoup quand la personne te plaît. Mais jamais tu n'as réussi à rester près d'eux trop longtemps. Tu as fini par te dire que tu étais maudit, parce qu'ils finissaient par partir. Pourtant, tu as gardé contact avec plusieurs d'entre eux. Vous avez souvent des conversations que tu juges intéressantes.

Tu n'as rien contre les gens et tu ne craches pas sur l'humanité. Tu as juste une liste assez exhaustive de choses qu'il faudrait changé dans cette société. Tu n'aimes pas ce système. Débattre pendant des heures ne te dérange pas. T'enfermer dans un monde imaginaire non plus. C'est toutes ces raisons qui font que tu es seul. Mais au fond de toi, tu sais que désormais tu en as pris l'habitude. Même si ça ne te gêne plus, rien ne t'empêche de monter sur ton toit en pleine nuit, pour contempler les étoiles une cigarette à la main et réfléchir à quelle serait ta vie si tout était différent. Est-ce que tu serais comme ces personnages que tu joues, ces stéréotypes de ces personnes que tu n'apprécies même pas ? Peut-être. À vrai dire, parfois tu ne sais même plus où tu en es. Tu as beau avoir envie de les haïr, tu n'en es pas capable. Tu es seul mais pas eux. Tu n'as presque plus l'occasion de passer du temps avec ton frère adoré, mais eux sont toujours collés à lui. Pourtant, au fond de toi, tu sais très bien que la popularité ne t'intéresse pas. Tu la trouves exécrable. Tu aimes rester dans ton coin, à écouter de la musique, à composer, à écrire.

Au fond de toi, tu as parfois l'impression de regretter toute ta vie. Tu n'apprécies pas la solitude, tu la subis juste depuis des années, ou peut-être depuis toujours. Tu aimerais que tout change, que cette utopie dont tu rêves et que tu t'efforces de décrire dans tous ces articles que tu écris devienne enfin réalité. Tu n'es pas pessimiste mais pourtant tu sais que ça n'arrivera jamais. Et si tu pouvais tout recommencer, tu n'es même plus capable de savoir si tu ferais les mêmes choix. Tu te poses de plus en plus la question. Si tes personnages sont des reflets de toi, il y a de quoi avoir peur. Ce sont tes opposés, inspirés de ces personnes qui t'ont fait tant de mal. Bien sûr, si on te pose la question tu as une excuse toute faite. Ce ne sont que des expériences que tu mènes. Tu cherches à comprendre pourquoi ces mecs stupidement populaires sont autant aimés alors que non. Tu te trouves beaucoup plus intéressant qu'eux. Parfois, pour te rassurer, pour te trouver qu'il t'aime encore plus que les autres, c'est également ce que ton frère te dit. Et dans ce genre de moment, tu souris. Parce que tu es condamné à rester seul, à errer jusqu'à la fin des temps pour atteindre ce monde utopique, mais que pour ça tu n'es pas seul. Lui sera toujours avec toi, et c'est le plus beau cadeau qu'il n'aurait jamais pu te faire.